Entretien avec Nourou Dine Saka Saley, jeune entrepreneur béninois

Article : Entretien avec Nourou Dine Saka Saley, jeune entrepreneur béninois
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7 février 2013

Entretien avec Nourou Dine Saka Saley, jeune entrepreneur béninois

Nourou Dine Saka Saley
Nourou Dine Saka Saley

Quelle est la valeur du secteur privé dans un environnement économique comme le Bénin ? Les gouvernants béninois ont-ils l’autorité et la vision suffisante pour accompagner les jeunes investisseurs ? Quelle est la vision d’un jeune quant à la situation actuelle dans le pays ? Autant de questions que peut se poser des potentielles grandes firmes voulant s’implanter chez nous. Pour y répondre, le mieux est encore de poser la question à un observateur averti du secteur privé et conscient des problèmes que rencontrent les jeunes aujourd’hui en Afrique.

Après plusieurs emails envoyés et quelques coups de téléphone auprès de notre réseau pour dénicher la perle rare, un jeune s’est imposé à nous ! La personne en question : Nourou-Dine Saka Saley, consultant juridique et financier de métier, et membre initiateur et fondateur de l’Association Cap ’Jeunes. Il est actuellement en train d’étendre ses activités dans la sous-région ouest-africaine. Pour moi, et pour mes lecteurs, il a accepté d’évoquer sa conception du développement économique au Bénin.

 On parle beaucoup d’assainissement de l’économie, de lutte contre la
corruption, d’efforts quant à la bonne gouvernance au sommet de l’Etat
mais dans le fond, qu’est-ce qui a vraiment changé en six ans au Bénin selon
vous ?

N-D. Saka Saley : Il faut  dire que si l’assainissement, les luttes contre la corruption sont encore d’actualité, c’est qu’il y a manifestement un sentiment d’échec ou tout au moins d’inefficacité ou d’inefficience. Parce que si cette lutte fonctionnait, la question ne serait plus aussi criarde de nos jours et on en parlerait un peu moins que lorsque les énoncés de bonne volonté ont commencé il y a quelques temps au Bénin.

Je me souviens qu’on avait déjà créé une autorité de lutte contre la corruption dirigée en son temps par Madame Adjai Cica. Aujourd’hui, nous ne l’avons plus sous la même forme. Elle s’est fondue en plusieurs entités telles que l’OLC (Organisation de Lutte contre la Corruption), le FONAC (Fonds national de lutte contre la corruption) et je me demande si cette dispersion dans les efforts est préjudiciable ou profitable à la lutte contre la corruption.

Ensuite, on s’est doté d’un arsenal juridique de lutte contre la corruption et des infractions connexes, dont je peine à voir les effets. Depuis que ces lois existent, je n’en vois pas l’application concrète auprès de cas avérés de corruption. Cette loi me semble un peu tirée par les cheveux car certaines fautes n’avaient pas besoin d’une loi de lutte contre la corruption avant d’être punies. Le seul code pénal était largement suffisant. Aussi, quand j’apprends qu’il y a des personnes qui ont occupé des fonctions au sommet de l’Etat et qui ont été inquiétées dans des scandales économiques (comme ça a été le cas au Port Autonome de Cotonou), et qu’il y a eu sollicitation médiatisée, par des autorités religieuses et traditionnelles à un certain niveau pour que la justice ne soit pas saisie, je suis un peu gêné par ce mélange de genres entre le religieux et le politique  alors qu’elles doivent être sévèrement découragées et punies.

Les scandales se succèdent donc, et le milliard est devenu l’unité d’infraction économique. Pour moi, c’est le signe de l’inefficience des politiques de luttes contre la corruption. On a tendance à penser à un « politisme » de lutte contre la corruption qu’à une véritable volonté d’en découdre !

Puisqu’on parle d’économie : le secteur privé en fait partie intégrante, les gouvernants suite à la table ronde ont pris des engagements aussi bien sur le plan législatif que sur le plan pratique afin de renouveler l’environnement économique du pays. Ont-ils l’autorité et la vision pour tenir ses promesses ?

Dans le principe, la table ronde est une initiative fabuleuse à reprendre mais en même temps, ces personnes qui sont impliquées dans des scandales financiers sont-elles des modèles pour impulser une nouvelle révolution économique ? Rassurent-ils les investisseurs ? Je me demande car l’Etat ne crée pas la richesse ! Il créé des conditions favorables pour la création de la richesse. L’Etat ne peut et ne doit plus recruter ou financer des activités comme ça se fait ici.

Alors, si les privés ne sont pas dans les conditions favorables pour la création de la richesse et d’emploi, nous allons nous retrouver dans un éternel recommencement. Les jeunes diplômés courront vers la fonction publique sans réelles chances, et le secteur privé, véritable levier de développement, s’en trouvera déserté. Mon rêve pour la jeunesse est celui d’une indépendance professionnelle et financière durable et pérenne dans un milieu aseptisé de lourdeurs administratives et de clientélisme. Il doit donc avoir une histoire d’amour entre le public et le privé, basée sur la réputation des politiques et la confiance réciproque des divers acteurs.

Je ne pense pas que nous ayons des modèles de vertus en termes de gouvernance politique, sinon on n’en parlerait pas en ces termes peu flatteurs. On en parle un peu plus qu’avant et on en parle seulement et malheureusement seulement maintenant.

Il n’y a pas d’actes forts ! Les actes de poursuite des infractions par exemple peuvent être faits en dehors de la Haute Cour de Justice, seulement compétente et exclusive pour le jugement. J’estime qu’il y a un frein même au niveau des actes de poursuite. Ce qui somme toute est attentatoire à la manifestation de la vérité.

On oppose parfois notre sous-développement à la mentalité des Africains et aux comportements barbares qu’on observe sur le continent. Comment marier efficacité économique et valeurs sociales et morales au Bénin ?

Je suis contre tous ceux qui disent que la culture constitue un frein au développement d’une nation. Le Japon et la Chine brillent grâce à leurs cultures. Par contre, les comportements des individus peuvent constituer des obstacles au développement d’un Etat et nous pousser à patiner de manière continue et stérile.

A présent la question fondamentale : en tant que jeune entrepreneur, comment peut-on enclencher le développement économique au Bénin ?

Il faut dire déjà que le pouvoir  est éminemment politique et un homme neuf et économiste ne garantit pas toujours une croissance économique. Par exemple, nous sommes dans une situation économique moins reluisante avec un économiste (entouré d’économistes) à la tête du pays que lorsque nous étions sous la gouvernance d’un militaire de métier.

Cependant, l’influence du politique  dans tous les domaines de la vie économique au Bénin est grande et n’est hélas en l’espèce pas forcément positive. Les politiques doivent donc aider les entreprises et quitter le subjectivisme qu’on observe actuellement. Ils doivent installer un climat de confiance avec le privé et permettre aux jeunes d’en détecter les réelles opportunités afin d’en profiter.

L’entreprise du soutien politique (marches et propos désobligeants) est malheureusement l’entreprise en plein expansion chez nous…

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Mais la mondialisation de plus en plus grandissante favorise-t-elle le développement de l’Afrique ?

Malgré la crise économique, l’Afrique a une croissance moyenne frôlant les deux chiffres. Nous ne pouvons pas en vouloir aux puissances étrangères, avec lesquelles nous collaborons, de faire la promotion et la sauvegarde de leurs intérêts économiques, y compris au détriment des économies de nous leurs partenaires. Mais c’est hélas la dure loi des échanges et du commerce… Le plus fort dicte sa loi.

Nous ne pouvons non plus nous passer d’eux, et il nous faut donc dans une optique de synergie réajuster le tir, de manière à apparaître plus unis et plus aptes à tout au moins négocier et faire réduire la fracture d’importance économique.

Chacun doit donc connaître sa place et penser collectif au niveau panafricain. C’est le seul moyen pour nous de profiter de notre excellente santé économique et des opportunités d’investissements dans notre continent.

Pour conclure :

Nourou-Dine SAKA SALEY nous dévoile une vision très réaliste du développement économique du Bénin. Ce qu’il faut retenir, c’est que malgré l’ingérence des politiques, il reste optimiste. Aussi, il préconise une collaboration plus saine entre le public et le privé.

Finalement, nous nous rendons compte qu’il est plus intéressant d’avoir un avis de cette jeunesse qui avance. Avis bien loin des théories de bureaucrates que nous suivons généralement sur les médias béninois.

Son conseil aux jeunes béninois, continuer à avancer et à se battre car comme il le martèle régulièrement : « l’avenir du Bénin repose uniquement et principalement sur les épaules de ses enfants. »

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Commentaires

Madigbè KABA
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Très bon! Très bon! Très bon! Eia Sinatou m'a killed par ce billet. Ce passage surtout, je le valide d'office: "Chacun doit donc connaitre...d'investissements dans notre continent."

Sinatou SAKA
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Je suis ravie de t'avoir fait plaisir!!! ;)